Dancing in the Inns of Courts
Depuis la fin du 13ème siècle et jusqu’à nos jours, l’appellation Inns
of Courts recouvre la même réalité : celle d’une institution
londonienne rassemblant les professionnels du droit. Cette institution
regroupe différents collèges assurant la formation des futurs
magistrats et des hommes de loi en général et fonctionnant aussi comme
des clubs et des ordres disciplinaires.
Depuis l’origine, les quatre collèges les plus importants sont Inner
Temple et Middle Temple qui s’installent dans des bâtiments confisqués
à l’ordre du Temple, Lincoln’s Inn dont l’histoire est liée à celle
d’Henry de Lacy, troisième conte de Lincoln, tout comme l’histoire de
Gray’s Inn est liée à celle de la puissante famille des Gray.
Du 16ème siècle à nos jours, beaucoup de noms célèbres émaillent les
registres de l’un ou l’autre des collèges : des hommes d’état (Thomas
More, Lord Burleigh et Lord Walsingham - Tony Blair et une quinzaine de
premiers ministres - le Mahatma Ghandi), des écrivains des poètes et
des explorateurs (Charles Dickens et Wilkie Collins - John Donne et sir
Walter Raleigh), beaucoup de têtes couronnées, parfois à titre
honorifique (Jacques II, Georges VI, Edouard VII, l’actuel Prince
consort et la Princesse Diana). Shakespeare aurait créé la « Comédie
des erreurs » dans le hall de Gray’s Inn, particulièrement réputé pour
la qualité de ses spectacles, comme le rappelle « Graies Inn’s Maske »,
l’avant dernière danse éditée par John Playford en 1651.
Du Moyen âge jusqu’à la Restauration, les Inns of Courts vont
représenter des lieux de pouvoir et d’influence considérables puisqu’on
y formait ceux qui allaient représenter la couronne dans les comtés. On
célébrait la richesse et la pérennité de l’institution à travers de
grandes fêtes annuelles, notamment celles ayant lieu le 1er novembre
pour « All Hallows » et le 2 février pour « Candlemas » . On y
organisait aussi des masques somptueux rivalisant avec ceux de la cour
entre Noël et les premiers jours de janvier.
Dans les bibliothèques des Inns of Courts, on a retrouvé une série de
six manuscrits se présentant comme des documents annotés, des listes de
danses et des livres ayant appartenu à trois membres des Inns of Courts
ou à certains de leurs proches.
Quoiqu’un siècle sépare les manuscrits en question (le plus ancien
datant de 1570 alors que le plus récent date de 1675), on y trouve
listées huit danses qu’on finira par appeler « The olde Measures ».
D’un manuscrit à l’autre, malgré la disparité des époques de référence,
ces huit danses sont décrites de la même manière : c’est qu’avec le
temps, elles sont devenues le rituel incontournable par lequel « The
Solemn Revels » (les fêtes solennelles) se devaient de commencer. On
attendait des jeunes gentlemen des Inns of Court, auxquels est adressée
la dédicace de la première édition du « Dancing Master », qu’ils se
soient exercés à ces danses, qu’ils aient mémorisé leur déroulement
complexe et qu’ils les dansent sans laisser-aller, comme le rappelle
Bulstrode Whitelocke, futur conseiller de Cromwell, relatant les
festivités de Noël 1628 dans Middle temple :
« theis measures were wont to be trulie danced, it beinge accounted a
shame for an innes of Court man not to have learned to dance,
especially the measures, but nowe their dancing is tourned to bare
walking ».
Voici la liste des huit measures retrouvées dans les bibliothèques des Inns of Courts :
The Quadrian Pavan, Turkylonye, The Earle of Essex Measure, Tinternell,
The Old Almayne, The Queen’s Almayne, Sicilia Almayne ou Madam Cicillia
Pavin, The Black Almain.
Ces manuscrits et les danses qu’ils décrivent consciencieusement nous
permettent de faire le lien entre les répertoires de la fin du 15ème
siècle et de la fin du 16ème siècle et le répertoire des danses
anglaises publié tardivement en 1651 mais déjà en voie de constitution
dès la fin du règne de la reine Elizabeth I.
A partir du dernier tiers du 16ème siècle, measure est en Angleterre
employée comme synonyme pour les deux formes majeures des danses de
société de l’époque : la pavane et l’allemande. Mais elle désigne aussi
une plus ou moins longue série de séquences chorégraphiques constituée
à partie d’une distribution aléatoire de simples et doubles.
En tant que telle, elle se rapproche beaucoup de la « basse danse » du
15ème siècle, à ceci près que les « basses danses » observaient des
règles de construction qui, tout en étant assez sophistiquées,
pouvaient au moins soulager la mémoire des danseurs.
Le premier manuscrit des Inns of Courts : « The Gunter MS » permet de
constater qu’on y utilise encore certains termes relevant de la
terminologie de la « basse danse », comme par exemple la reprise. Ce
terme disparaîtra par la suite.
Voici par exemple la description de My lord of Essex measure :
”A duble forward repryme backe 4 tymes / 2 singles syde a duble forward repryme back”
Comparez maintenant les six « mesures » chorégraphiques de « la basse
dance du Roy Despaingne » répertoriée dans le manuscrit dit des Basses
Danses de la bibliothèque de Bourgogne – dernier tiers du 15ème siècle
(1) avec les quatre ou, à mon sens, cinq mesures chorégraphiques de «
la longe pavian » (2) toujours tirée du « Gunter MS » - vers 1572.
(1) R b ss ddd rrr b/ ss ddd r b/ ss ddd rrr b/ ss d r d r b/ ss ddd rrr b/
ss d r d r bc.
(2) 2 singles a duble forward 2 singles
syde reprime backe once/ 2 singles syde a duble forward repryme back
twyse/2 singles a duble forward one single backe twyse 2 singles a
duble forward 2 singles side reprime backe once/ 2 singles side a
double forward reprime backe twyse.
ou, si j’utilise les abréviations utilisées pour noter les basses danses :
ss d ss r/ss d r ss d r /ss d s ss d s/ ss d ss r/ss d r ss d r.
Outre le fait que la mesure semble être le chaînon manquant entre les
répertoires des danses de société en vogue, avec des variantes, dans
les sociétés de la fin du 16ème siècle en Europe et le répertoire
spécifiquement anglais qui s’organise sous le règne des premiers rois
Stuart, les mesures des Inns of Courts apportent un éclairage
intéressant et même décisif pour comprendre les danses répertoriées par
John Playford.
En effet, ces documents apportent des précisions essentielles
concernant les pieds de départ des simples et des doubles, notamment
dans les « figures imposées » qu’on retrouve dans toutes les danses.
Dans ces conditions, la sixième mesure « The Queens Almayne », apparaît
comme le prototype de la séquence dd ssd - dd ssd qu’on trouve
dans de si nombreuses danses des premières éditions du « Dancing Master
».
Comparez donc « The queens Almayne » dans la version du Ashmole,
manuscrit daté de 1634 (1), et celle plus tardive de Buttler
Buggins (2) avec la partition chorégraphique de « A Health to Betty »,
danse de la première édition (3).
(1) A duble forward and a duble backe set two singles and
face to face and turne a round in your owne place a duble forward with
the right legge and backe with the left legge set two singles face to
face and turn a double round…
(2) A double forwards and a double back with the left legg
turne face to face, and set and turn with the left legg/ A double
forward and a double back with the right legg turn face to face and
sett and turn with the right legge…
(3) Partition originale de « A Health to Betty »
Voici pour finir la description originale de « The Black Almain », tirée elle aussi du manuscrit de Buttler Buggins :
Syde 4 double round about the hall
And close the last double face to
Face. Then part your hands and goe all
A double back one from another and
Meet a double againe, The goe a
Double to the left hand and
As much back to the right hand
The all on the Wome side stand still
and the men set and turne
then all the men stand still and
the women sett and turne, theb hold
both hands and change places with a
double and slide four French slides to the
mans right hand change places againe
with a double and slyde 4 french slides
to the right hand again, then
part hands and goe back a double one
from another and meete a double again.
Then all this measure once over and soe on.
The 2nd all the men stand still and the
Women begin sett and turne first and then
Men last
(Il a été tenu compte des variations de graphie et de mise en page du texte original)