Si
les danses anglaises n’ont pas l’exclusivité de la progression - après tout, le
branle de
A partir du moment où le répertoire
s’organise à la fin du 16ème siècle, la progression se cherche.
Alors que dans « Upon a Summer’s Day »,
première danse de l’édition de 1651 du « Dancing Master »([1]),les
trois couples progressent pour finalement terminer la danse à leur place de
départ, la progression est affirmée et consumée dans « The Shaking of the Sheets », encore
appelée « The Night Piece »,
danse importante puisqu’elle est mentionnée à l’acte II de « Misogonus »([2]),
pièce datée de 1577, et qu’elle est aussi nommée dans la pièce de Thomas
Heywood « A Woman Killed with
Kindness » publiée en 1603 (rappelons qu’Elizabeth I devient reine en
1558 et que William Shakespeare naît en 1564). Longways pour trois couples, « The Shaking of the Sheets » fait circuler les danseurs vers le
bas et vers le haut du set, mais
quand la danse se termine à la fin de la troisième partie, les danseurs du
couple 1 sont installés en dernière position.([3])
Partition originale de The Night Piece
La progression s’affirme aussi au sein des
quelques trente-huit longways pour as many as will listés dans l’édition
de1651 du « Dancing Master »
en rendant ces danses longues et complexes dans leur architecture aussi bien
pour les danseurs que pour les musiciens.
Ce que je voudrais démontrer avec deux
exemples :
1.
« Saturday Night and Sunday Morning ».
Dans ce longways for as many as will enregistré
dans le CD « Sugar and Spice »,
la figure non progressive est dansée par les couples 1 et 2 sur les deux A. La progression se fait sur les 8
mesures des deux B qu’il convient de
répéter jusqu’à ce que tous les danseurs aient retrouvé leur place de départ,
c’est-à-dire 6 fois si le set
est limité à 3 couples - 9 fois si le set comprend 4 couples comme le diagramme de Playford le suggère la
plupart du temps - 12 fois si le set
comprend 5 couples, et je vous laisse calculer le nombre de répétitions rendues
nécessaires par la présence de 6
couples comme dans « The
Countrey coll » ou 9
couples comme dans « Step
Stately ». Puis les deux premiers couples dansent la deuxième figure
suivie d’une figure progressive légèrement différente de la première mais comprenant le même
nombre de répétitions et la danse se termine par une dernière figure toujours
dansée par les couples 1 et 2 et par la dernière progression semblable à la
deuxième, tous les danseurs finissant la danse là où ils l’ont commencée.
Il y a intérêt à s’assurer que les musiciens sont en forme et bien
réveillés ! Pour les deux premiers couples, la danse est intéressante mais
il n’en va pas de même pour les autres couples qui deviennent des figurants à
leur service.
2.
« A la mode de
France » qui est une variante de « Nonsuch ».
Dans cet autre longways for as many as
will qui se danse sur deux thèmes A
et B de 8 mesures, l’enchaînement se
déroule comme suit : 1ère introduction / mouvement progressif /
2ème introduction et 2ème figure / 3ème
introduction et 3ème figure / chaîne qui est un autre mouvement
progressif plus court que le premier. Ce qui donne un total de 15 répétitions si la
danse est prévue pour 8 danseurs comme le suggère d’ailleurs la chorégraphie et
le petit diagramme qui illustre le placement des danseurs dans la 3ème
partie de la partition de Playford.
Quinze ans après la première édition du « Dancing Master », Samuel Pepys nous
donne dans son journal pour l’année 1665 des exemples d’occasions festives
privées où des groupes de 8 à 12 personnes se réunissent pour danser :
« 26 octobre 1665 - revins trouver mes invités, que je
vis danser de belle manière, le capitaine Ferrer et sa femme, ma femme, Mrs
Barbara, Mercer ([4]) et la fille de ma logeuse, ainsi que la
jeune Mrs Frances Tooker et sa mère… venue rendre visite à ma femme. On soupa,
puis on se remit à danser (avec Golding comme violoneux, qui joue très bien et
connaît tous les airs) jusqu’à plus de minuit. »
« 8 décembre 1665 - descendis
à Greenwich par le fleuve où tous mes invités, à ce que je vois, sont arrivés.
Il y a Mrs Knepp accompagnée de son mari, Pearse et sa femme ainsi que Rolt, Mrs Worship et sa
fille, Coleman et sa femme et Lanier; enfin, comble de notre gaieté, Mr Hill
nous fit une visite imprévue…Nous eûmes de l’excellente musique, tant et plus
ainsi qu’un bon souper où l’on dansa. »
Mais parfois l’assemblée est bien plus
réduite comme en cette soirée de mai 1663 que relate le maître de maison
entouré de sa femme, de la suivante de celle-ci et du maître à danser :
« Au bureau jusqu’au soir puis à la
maison et souper. Après souper, le maître à danser étant arrivé, nous montâmes
dans notre salle de danse et je m’exerçais à danser la courante que j’ai
commencé à apprendre; puis nous dansâmes 3 ou 4 contredanses jusqu’à tard et
fort gaiement. »
Au
sein des « Inns of courts »
au contraire, les fêtes solennelles rassemblent un nombre de danseurs plus
proche de celui que nous connaissons de nos jours dans les petits bals. Ainsi,
à Gray’s Inn en 1594 au moment des fêtes de Noël :
«
his Highness… called for the Master of the Revels and willed him to pass the
time in dancing : so his gentlemen-pensioners and attendants, very gallantly
appointed, in thirty couples, danced the old measures, and then
galliards, and other kind of dances, reveling until it was very late.”
A
partir du dernier tiers du 17ème siècle, au moment où Henry PLayford
succède à son père, et pendant tout le 18ème siècle, les longways progressifs l’emportent sur la
multiplicité des formes anciennes. Certains mouvements associés à ces formes
disparaissent (siding - arming comme mouvements préalables au
déroulement de l’enchaînement caractéristique d’une danse donnée). Mais de
l’époque précédente, on conserve l’idée que les couples 1 et 2 sont les seuls à
être actifs d’abord, et que c’est au contact du couple 1 que les autres couples
rentrent dans la danse. De nos jours, la pratique est différente : le rôle
de chaque couple est déterminé dès le départ à partir de sa place au sein d’un
groupe de quatre danseurs pour les longways
duple minor set, ou d’un groupe de six danseurs pour les longways triple minor set. Tous les
danseurs démarrent ensemble et passent un tour ou deux selon la nature du longways, quand ils atteignent les
extrémités du set.
S’il est vrai que les chorégraphies se
raccourcissent à mesure que le temps passe, elles ne se simplifient pas
forcément et elles restent parfois un vrai challenge
pour le danseur. La progression est toujours le moment fort de ces danses, mais
il y a tant de manières de progresser et tant de différents moments pour le
faire !
En
choisissant le programme du « Toddler »
nous avons voulu passer en revue un certain nombre de ces figures progressives
sans chercher à être exhaustifs.
Certaines
figures, notamment celles qui se déclinent à partir de la promenade intérieure
ou extérieure, sont relativement faciles parce qu’elles sont construites à partir
de séquences longues. D’autres
danses empilent une série de séquences
courtes (4 mesures, parfois 2 mesures) avec peu de répétitions d’une
séquence à l’autre, ces danses-là seront à réserver aux danseurs confirmés qui
y trouveront l’occasion d’entraîner leurs réflexes en contredanse.
Nous
avons cette fois-ci fait l’impasse sur une figure progressive très utilisée
dans les chorégraphies : le « huit progressif - cross and half figure eight » : c’est que nous avons
enregistré plusieurs danses comprenant ce mouvement dans les précédents CD de
l’association (se reporter à « Wright’s
Humour / Les oubliées », à « The
Cuckoo / Le Choix d’Amarillis » et à « Charming Maid / Sugar and
Spice »).
Le moment de la progression relève aussi
de plusieurs catégories.
Pour « Mad Robin » et « Vienna »,
la progression se fait tout au long des deux phrases A.
Pour « Bonny Cate » et « Ormond
House », elle se construit sur
les deux phrases A et B, et notamment à partir des positions improper.
Pour « Nancy’s Fancy », « Northdown
Waltz », « Nobody’s Jig »,
« Enfield Jig », la
progression se fait sur les deux dernières mesures du 1er B et elle a été préparée par une
promenade.
En ce qui concerne « Doway », la progression arrive au
début du 2ème B.
Pour
finir, « Slaughter House »,
« Country Farmer », « Old Noll’s Jig », « Greenwich Park », « My lord Byron’s Maggot » et « Dorset Triumph » sont des exemples
de danses pour lesquelles l’enchaînement à répéter se termine par la
progression.
Il n’y a donc
aucune règle sur laquelle le danseur pourrait s’appuyer.
[1] Cette danse est enregistrée dans “Le choix d’Amarillis” deuxième CD produit par l’association Chestnut et décrite dans la brochure qui l’accompagne.
[2] Pour James
Cunningham, la pièce est de 1577, mais
pour Margaret Dean Smith elle serait de 1560. Voici en tous les cas
l’extrait acte II scène 4 où la danse en question est citée
Misogonus : “What
Countrye dauncis do you here daily frequent”
Cacurgus : “The
vickar of s.fooles I am sure he would crave to daunce of all other I see is
bent”
Sir John : “Faythe no I had
rather have shaking oth sheets or catching of quales”
[3] C’était déjà le cas dans « Millison’s Jig » une autre danse de la première édition (cf le CD et la brochure « Les Oubliées ») mais nous avions décidé de jouer la danse trois fois de suite afin que chaque couple mène la danse comme cela serait le cas dans une wholeset dance.
[4] Mary Mercer est la suivante d’Elizabeth Pepys. Elle a la réputation d’être une très bonne danseuse.