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"  Si Playford m'était conté"

par Cécile LAYE
 
Le terme contredanse apparaît pour la première fois dans "THE OXFORD ENGLISH DICTIONARY" en 1579 et les premières références littéraires concernant ce genre de danse se trouvent dans une pièce de 1560 : MISOGONUS. Mais si les écrits des grands voyageurs de l'époque attestent le fait que la contredanse était déjà dansée à la cour d'ELIZABETH lère, de CHARLES ler et dans tous les milieux, il faudra attendre 1651 pour qu'elle ait une existence officielle.
En 1651 John PLAYFORD, éditeur de musique à Londres publie un recueil de 104 contredanses intitulé "THE ENGLISH DANCING MASTER" pour parodier une pièce comique à la mode qui ridiculisait un maître à danser Français.
"THE ENGLISH DANCING MASTER" de PLAYFORD est aussi important pour la contredanse anglaise que 'L'ORCHESOGRAPHIE" de THOINOT ARBEAU l'est pour les danses de la Renaissance Française ; mais la différence essentielle entre les deux ouvrages est que l'orchésographie est un traité de danse conçu pour enseigner les pas des danses en vogue à un élève fictif alors que THE DANCING MASTER est un catalogue et un aide-mémoire destiné à des danseurs déjà familiarisés à la pratique de ce genre; de cette différence résulte un certain nombre de questions demeurant sans réponse concernant le style et les appuis.
Au début de son ouvrage PLAYFORD donne quelques définitions sommaires sur les pas qu'il va utiliser pour décrire les danses, le double et les simples, suit une courte liste d'abréviations et de signes, cependant son travail et celui de ses aides est soigné et précis pour l'époque puisque pour chaque danse il nous donne:
· le titre et la ligne mélodique
· la position de départ des danseurs sous forme d'un diagramme
· la description des évolutions avec divisions en parties

Qu'il soit clair que John PLAYFORD n'a pas inventé toutes ces danses, il s'est contenté de rassembler un matériel chorégraphique qui, au cours d'une centaine d'années d'existence, s'était beaucoup développé et sophistiqué et qui commençait à être exposé à l'influence de l'étranger, notamment de la France.

Certaines de ces danses ont la structure simple d'une introduction et d'un refrain par exemple UPON A SUMMER'S DAY, d'autres sont plus complexes et sont probablement le fruit du travail d'un des nombreux maîtres à danser de l'époque qu'on employait à l'élaboration des danses de masques et dont l'histoire de la danse n'a retenu que peu de noms par exemple : CONFESS, BEVERIDGE, ISAAC.
L'ouvrage de PLAYFORD aurait tendance à figer les choses quant aux rapports figures et musique, et l'on pourrait considérer que les danses répertoriées furent d'emblée associées aux musiques qu'il donne, alors que les maîtres à danser puisaient dans un vaste répertoire de mélodies populaires qui pouvaient aussi bien servir de support musical aux BROADSIDES BALLADS qu'on vendait dans les rues. L'association danse-musique n'était, en général, pas définitive et ne le devenait que lorsqu'elle était plébiscitée par les danseurs, ainsi s'établissait une tradition.
Telle qu'elle se présentait, la première édition de PLAYFORD eut un franc succès qui amena PLAYFORD à renouveler régulièrement l'opération jusqu'en 1728.
PLAYFORD, son fils Henry puis son successeur John YOUNG menèrent à bien 17 éditions toujours plus conséquentes puisque la dernière qui fait un peu figure d'encyclopédie de la contredanse comprend 900 danses. Les PLAYFORD eurent le monopole de l'édition de la contredanse jusqu'en 1711, puis les publications se multiplièrent jusqu'à saturation.
Les derniers ouvrages consacrés à la contredanse datent de 1830 (WILSON), à ce moment sa vogue cessa peu à peu, au profit des premières danses par couple.

 

De la première à la dix-septième édition on peut voir deux grandes périodes dans l'évolution de la contredanse:
1 - De la première à la septième édition on pourrait parler de la période domestique de la contredanse, c'est l'époque où la contredanse est appréciée chez les particuliers comme à la cour pour son côté récréatif et sans façon. Samuel PEPYS qui tint son journal de 1660 à 1670 nous donne à ce sujet de précieuses indications en relatant un bal donné à WHITEHALL en 1662 . Après avoir dansé le branle et la courante, le roi et les grands du royaume en viennent aux "danceries rustiques" et le roi demande "CUCKOLDS ALL ARROW" (première édition), "La Vieille danse Anglaise".
Il semble donc bien qu'après les danses liées au rite de cour que représente le bal royal, la contredanse représente le moment le plus informel où l'on danse pour le plaisir.
 A cette époque correspond le nombre varié des formations du DANCING MASTER, elles doivent éventuellement répondre aux besoins d'une toute petite congrégation (quatre personnes minimum)
exemples
 Carré pour quatre  HEARTSEASE
 Carré pour huit  FAIN I WOULD
 Cercle pour six  KEMP'S JIG
 Cercle pour huit  NEWCASTLE
 Cercle progressif  ROSE IS WHITE, ROSE IS RED
 Longways pour six  THE OLD MOLE
 Longways pour huit  LULL ME BEYOND ME
 Longways for as many as will  THE GUN
 Formations irrégulières CONFESS  F H F  F H F
DARGASON   F F F H H H
Contredanses introduisant un élément de mime et rappelant les branles morgués de la Renaissance  SWEET KATE
 MUNDESSE
 HAVE AT THY COAT OLD   WOMAN
 CATCHING OF QUAILS
 PAUL'S STEEPLE

2 - Au fil des années, on s'aperçoit que toutes ces formations offrant aux danseurs des possibilités inépuisables de déplacement disparaissent au profit d'une seule formation : LE LONGWAYS FOR AS MANY AS WILL avec cependant la subdivision DUPLE MINOR SET et du TRIPLE MINOR SET. La bourgeoisie anglaise devenant de plus en plus influente, la cour n'est plus l'unique lieu des grands divertissements, tous ceux qui sont un peu quelque chose se réunissent au sein "d'assemblies" notamment dans les villes thermales comme BATH et TUNBRIDGE, avec l'unique préoccupation de se faire voir au concert, à la promenade et au bal. Le cérémonial de ce bal est strictement réglé et la bonne marche des choses est confiée à un maître de cérémonies.
La première partie des bals est très formelle puisque les couples dansent le menuet un par un, en conséquence la deuxième partie se devait d'être plus animée et récréative et le "LONGWAYS FOR AS MANY AS WILL" était le plus adéquat pour remplir cette fonction, l'ensemble des danseurs est réuni dans un même set lequel est éventuellement subdivisé en plusieurs sets ; les danseurs sont disposés sur deux files se faisant face, chaque couple portant un numéro qui correspond à son rôle, ils sont tous au service d'une figure qui les fera progresser vers le haut ou vers le bas du set.
Cette figure est répétée un grand nombre de fois ce qui est moins contraignant pour la mémoire que les anciennes formes. Peu à peu la vogue de la contredanse en longways balaie toute l'Europe ; en France où règne encore "La Belle Danse Baroque" si difficile techniquement, elle séduit à cause de son caractère collectif et accessible à tous.
Pour conclure, il est possible de dire que la contredanse anglaise s'est élaborée sur de nombreuses années en amalgamant différents éléments.
- une trame d'origine populaire qu'on retrouve dans des genres voisins (SWORD DANCING et MORRIS DANCING).
- ces danses de société déjà existantes et plus spécialement la mesure, sorte de pavane à figures qui représente réellement un embryon de contredanse et qui en utilise déjà les termes techniques (cast - set - turn single).
- sous l'importante influence de formes étrangères, notamment celle des balli Italiens décrits par les maîtres Italiens du XVème et XVIème siècle.
- et "last but not least" sous l'influence de la musique qui communique à la danse sa vivacité et sa légèreté.
A partir de 1840 la pratique de la contredanse tombe en désuétude jusqu'à ce que Cecil SHARP donne, au début du XXème siècle, un nouveau regain de popularité à ce genre de danse collective.
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